Essais

Existera-t-il un jour un Sadiq Khan en France ? Oui, si la France sait rester fidèle à ses valeurs républicaines d’égalité et de fraternité.

Marc Bordier by Marc Bordier /

Sadiq Khan

     Hier soir a été annoncé le nom du nouveau maire de Londres : Sadiq Khan, un musulman d’origine pakistanaise, fils d’un modeste conducteur de bus ayant grandi dans un HLM à Tooting, au sud de Londres. Dans un pays où la vie politique est dominée par des aristocrates et des fils de millionnaires passés par Eton, Cambridge et Oxford, cette nouvelle constitue un symbole fort, et elle a été saluée par l’ensemble des médias des deux côtés de la Manche. Pour les Français, c’est aussi l’occasion de s’interroger : existera-t-il un Sadiq Khan un jour en France, pays où l’Islam est perçu comme une menace ? C’est la question que pose l’écrivain Tahar Ben Jelloun dans Le Point d’aujourd’hui, en rappelant comment Michel Houellebecq a légitimé la peur de l’Islam en mettant en scène dans son roman dystopique Soumission le fantasme d’une France cauchemardesque dirigée par un Président de la République musulman. 
   Selon moi, ce n’est pas là que réside la différence entre la France et la Grande-Bretagne. En effet, la peur de l’Islam est aussi présente de ce côté de la Manche, et ce chiffon rouge d’ailleurs été largement agité par le candidat conservateur Zac Goldsmith dans la course à la Mairie de Londres. Dans un détestable amalgame, il n’a pas hésité à associer son adversaire travailliste et musulman aux milieux terroristes. L’immigration est aussi une source d’inquiétude très présente dans le débat sur le référendum du Brexit au Royaume-Uni, comme il l’est en France à chaque élection présidentielle.  En réalité, la différence entre les deux pays se situe dans leur capacité à assumer et accepter l’idée d’une identité nationale multiple. En marchant dans les rues de Londres, il n’est pas rare d’entendre toutes sortes de langues et de voir toutes les couleurs de peau, et ce métissage fait partie de l’identité collective. En France, sous l’influence idéologique du Front National et d’une partie de la droite, l’identité nationale est souvent définie de manière exclusive et restrictive, comme une mono-identité. C’est l’idée selon laquelle il existe des Français dits “de souche” et d’autres d’origine étrangère, à qui il faut demander d’abandonner leurs coutumes et d'”aimer la France ou de la quitter”. Pourtant, cette vision exclusive et restrictive de l’identité française est contraire aux valeurs républicaines. C’est ce que rappelle l’historien François Durpaire dans l’essai sur l’identité française qu’il a publié en janvier 2012, quelques mois avant l’élection présidentielle : “en interdisant aux individus d’assumer leurs appartenances multiples, on les contraint à choisir entre la négation de soi-même et la négation de l’autre. […] Etre Français et Corse, Français et Antillais, Français et Algérien ne compromet pas l’identité collective. La diversité ne rompt pas les liens, elle les enrichit. Elle ne bloque pas le dialogue, elle le nourrit. Sans la diversité des histoires qui la constituent, la France, moins inventive, ne serait plus qu’un long fleuve tranquille. Reconnaître et accepter la pluralité n’affaiblit pas l’adhésion de la nation, c’est au contraire un facteur de renforcement.” Au Royaume-Uni, on peut être musulman et d’origine pakistanaise, on n’en est pas moins un citoyen britannique à part entière, et on peut accéder aux plus hautes responsabilités comme l’a fait Sadiq Khan. Cela pourrait arriver en France si notre pays assume son identité collective multiple en restant fidèle à ses valeurs républicaines d’égalité et de fraternité.