Littérature contemporaine

Sève Maël – Où vas-tu Margot ?

Marc Bordier by Marc Bordier /

Sève Maël Où vas-tu Margot ?

   Après mes deux derniers billets consacrés à des essais politiques et économiques, j’ai eu envie de me détendre un peu en me plongeant dans Où vas-tu Margot ?, un roman érotique publié en 2011 par une jeune auteur débutante du nom de Sève Maël. Je n’en attendais pas grand’ chose, si ce n’est de me vider un peu l’esprit de mes préoccupations alors que je passe l’été loin des plages à travailler et à gérer l’intendance de mon installation à Londres.
   J’ai été très agréablement surpris. Alors que j’imaginais un récit plein de clichés à l’eau de rose cucul la praline à la E.L. James (voir ici l’article que j’ai consacré à 50 Nuances de Grey), j’ai trouvé un thriller érotique captivant et haletant dont la narration conduit le lecteur de page en page jusqu’à un dénouement horrible et inattendu. Le récit est raconté du point de vue de Margot, une jeune femme d’une vingtaine d’années frappée d’amnésie. Un beau jour, elle se réveille internée dans un hôpital psychiatrique après des événements douloureux et inquiétants dont le souvenir est tellement pénible qu’elle les a refoulés au fin fond de sa mémoire. Avec le soutien d’un psychologue compréhensif, elle va peu à peu sortir de son état léthargique et reconstituer sa mémoire perdue. Elle se rappelle tout d’abord sa vie d’épouse aimée et comblée par un mari prévenant et plein d’attentions, depuis le jour de leur rencontre jusqu’à son quotidien de femme au foyer heureuse de retrouver l’homme qu’elle aime après sa journée au travail. Ce tableau idyllique se fissure un soir de janvier lorsqu’elle surprend son mari en compagnie d’un autre homme dans une posture sans équivoque dans la cabane au fond du jardin. La découverte brutale des penchants homosexuels de celui qu’elle croyait connaître marque le début d’une période de dépression et de tension qui ira de mal en pis jusqu’à la scène finale.
   D’un point de vue littéraire, le principal intérêt de ce roman réside dans sa construction narrative. Celle-ci débute par des  chapitres hésitants et remplis d’interrogations sans réponses, comme si la narratrice marchait à tâtons dans un brouillard où elle alterne entre somnolence amnésique et gesticulation impuissante (p.29: “Je fais partie d’un univers irréel. J’ai basculé dans l’autre monde, où il n’y a que du chaos et de la poussière. Je ne trouve plus la sortie. Je cours et m’agite, je m’affole, j’appelle à l’aide, mais personne ne vient.“). Cette première partie (chapitres 1 à 6) est essentiellement consacrée au temps présent et au quotidien dans l’hôpital psychiatrique. Les souvenirs de sa vie d’avant l’internement sont peu présents et le plus souvent relégués au second plan. Tout au plus l’héroïne se rappelle-t-elle avoir été mariée autrefois à un certain Loïc rencontré lors d’une vente aux enchères.
   A l’occasion d’une séance de massage, la mémoire lui revient de manière brutale et inattendue. Là où les efforts de la conscience s’étaient révélés impuissants, la stimulation sensorielle vient réveiller des souvenirs sensuels profondément enfouis, des réminiscences de corps fiévreusement enlacés. A ce stade, le lecteur émoustillé se réjouit à la perspective de lire des pages entières de cochonneries écrites par une femme. Le public contemporain aime bien ça, et la critique journalistique l’a bien souvent encouragé dans ses goûts en encensant les premiers romans un peu olé-olé d’une Virginie Despentes ou d’une Marie Darrieussecq.
    Mais il sera très vite déçu (ou enchanté, c’est selon les préférences de chacun…) en arrivant à la scène érotique très virile entre les deux hommes au fond du jardin. L’histoire prend alors un tour inattendu, et le banal roman érotique bascule du côté du thriller à la Jean-Christophe Grangé (je pense en particulier à son dernier roman Le Passager, dont j’ai publié une critique sur ce blog; là aussi, une personne amnésique s’efforce de se réapproprier son identité et son histoire en remontant le fil des événements ayant précédé son internement). A partir de ce moment, les chapitres naviguent entre le présent du centre de soins psychiatriques et le passé de la vie d’avant. Au fil des pages, le récit s’accélère en accordant de plus en plus de place à l’histoire tourmentée des amants emportés par la puissance du sexe. Après une dernière suspension dans le temps présent, il s’achève brutalement par une scène tragique que je vous laisse le soin de découvrir. Bonne lecture…