Littérature étrangère

Un conte fantastique tchèque : Le Pèlerinage aux Monts-des-Géants, de Karel Hynek Macha

Marc Bordier by Marc Bordier /

   A Noël, j’ai reçu en cadeau une anthologie littéraire de Karel Hynek Macha, célèbre poète romantique tchèque du début du XIXème siècle. Malgré une vie très courte – il est mort à vingt-six-ans à peine, le jour de son mariage – Macha a laissé derrière lui un héritage littéraire durable, dont le grand poème Maj (Mai), souvent considéré comme l’acte de naissance de la littérature tchèque moderne.
   Parmi les différents textes, poèmes, romans, extraits de journal et contes qui composent cette anthologie, il en est un dont le titre a particulièrement retenu mon intérêt : Le Pèlerinage aux Monts-des-Géants. Si vous observez une carte d’Europe centrale, vous verrez que les monts des Géants (Krkonose en tchèque) sont une région montagneuse située dans le nord de la Bohême, à la frontière entre la République tchèque et la Pologne. C’est un coin où j’ai déjà séjourné à de multiples reprises, et il occupe une place  à part dans ma mémoire.
   Le conte met en scène l’étrange aventure d’un jeune homme venu en pèlerinage dans les monts des Géants après une déception amoureuse.  Il s’ouvre sur la vision de ce personnage solitaire cheminant au crépuscule le long d’un étroit sentier au milieu d’un paysage de montagnes froid et inquiétant. La nuit tombée, il trouve refuge dans un monastère gothique abandonné. Dans ce couvent à l’atmosphère mystérieuse, il fait une rencontre surnaturelle : une fois par an, à minuit, les moines morts se réveillent pour contempler la beauté du monde et répondre aux questions des vivants, puis retournent dans le sommeil de l’au-delà. Le jeune homme passe la nuit au milieu de ce cortège lugubre et interroge les moines morts sur ce qu’il a depuis toujours aspiré à connaître. Au petit matin, nous le retrouvons errant dans la ravine d’un pas chétif, les cheveux blanchis, le visage pâle et les lèvres  blêmes. Après sa rencontre nocturne avec les moines revenants, le svelte jeune homme a laissé la place à un vieillard spectral bientôt appelé à les rejoindre dans la tombe.
    Ce conte fantastique est un peu déroutant, et sa fin laisse le lecteur dans la doute. Quelles questions le pèlerin des monts des Géants a-t-il posées aux moines, et quelles réponses a-t-il reçues ? Comment expliquer cette effrayante transformation ? Nous n’en saurons rien. Mais là n’est pas l’essentiel. Ce texte est avant tout pour son auteur un moyen de coucher sur le papier une vision onirique : au cours d’une nuit agitée en janvier 1833, il a été hanté par l’image d’un monastère gothique dans lequel des moines morts se réveillent une fois l’an. Il la restitue ici avec talent, en composant un récit poétique en trois mouvements, avec un art consommé de la narration : dans la première partie, il plante un décor propice à l’irruption du surnaturel, empruntant à ses souvenirs de randonnées la description des monts des Géants, auxquels il ajoute des réminiscences littéraires inspirée par le romantisme gothique; puis vient la scène terrifiante du cortège des moines morts, sorte de danse macabre qui marque le paroxysme de l’horreur; enfin, une chute énigmatique au goût amer.  Pour ma part, j’ai particulièrement été sensible à la description des montagnes enveloppées d’une aura de mystère surnaturel. La prochaine fois que j’irai me promener dans les monts des Géants, je songerai peut-être en frissonnant au pèlerin de Macha et à sa rencontre avec les moines revenants…