Classiques
Lettres portugaises – Guilleragues
by Marc Bordier /
Je voudrais parler aujourd’hui d’un chef-d’œuvre méconnu : les Lettres portugaises de Guilleragues. L’ouvrage se présente comme un opuscule d’une cinquantaine de pages composé de cinq lettres écrites de la main de Mariane, religieuse abandonnée dans son couvent portugais par un séducteur français. Roman épistolaire admirable, les Lettres portugaises racontent l’histoire émouvante d’une amante délaissée qui revient à la vie à travers l’écriture.
Au fil de la correspondance, l’adresse à l’amant se fait moins pressante, moins angoissée, et laisse la place à une introspection de plus en plus lucide. La troisième lettre marque un tournant, une prise de conscience (L.III, p. 85) : “Oui, je connais présentement la mauvaise foi de tous vos mouvements : vous m’avez trahie toutes les fois que vous m’avez dit que vous étiez ravi d’être seul avec moi; […] vous aviez fait de sens froid un dessein de m’enflammer, vous n’avez regardé ma passion que comme une victoire, et votre coeur n’en a jamais été profondément touché. » La médiocrité de l’être aimé est dénoncée par son incapacité à répondre à une passion sincère et entière autrement que par des formules plates et convenues (L.V, p. 99 : “vos impertinentes protestations d’amitié et les civilités ridicules de votre dernière lettre”). Dans cet échange, les lettres de l’amant sont d’ailleurs absentes, comme pour en souligner l’insignifiance. Au final, la communication épistolaire aboutit à un retour à soi, qui est aussi une guérison, une reconstruction. L’écriture a libéré l’amante : elle sait désormais que ce qui était grand dans son amour n’était pas son objet – un Don Juan vain, quelconque et sans envergure – mais bien la passion elle-même (L.V, p. 99 :”J’ai éprouvé que vous m’étiez moins cher que ma passion”.)
Les Lettres portugaises ont connu en leur temps un succès immédiat car elles ont su traduire dans une forme sublime des sentiments sincères et réalistes. L’illusion était si parfaite que de nombreux lecteurs ont longtemps crû à leur authenticité. Il fallut attendre 1962 et la parution d’un article de recherche pour que soit établi sans conteste leur caractère fictif et littéraire, et démasqué derrière le soi-disant éditeur Guilleragues le véritable auteur de cette correspondance. Comme le genre du roman épistolaire dont elles furent à l’origine, elles sont aujourd’hui tombées en désuétude. A mon sens, il est aujourd’hui grand temps de les redécouvrir. A l’heure des chats, SMS, e-mails, MSN et autres twitters, le chant solitaire de la religieuse portugaise est un ravissement tant pour l’esprit que pour le coeur.
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Readers' comments
http://education.francetv.fr/videos/presque-v113789
by Laeti /
Un livre qui semble léger et à lire pour ne pas se prendre la tête.
by Amandine Aufildesplumes /
tessdf
by Avinash Woodun /
Tu dis "cela sent le formatage et les ateliers d'écriture à l'anglo-saxonne" en faisant référence aux séries US : effectivement,…
by Master-Blerow /
Bonjour,Merci pour votre message, il m'a intrigué. Je vous écrirai par courriel pour en apprendre davantage.A bientôt,Marc.
by Marc Bordier /