Littérature anglaise

A Taste of Blood wine – Freda Warrington

Marc Bordier by Marc Bordier /

Très occupé ces dernières semaines par les préparatifs de mon expatriation à Londres, je n’ai pas trouvé beaucoup de temps pour lire ou écrire sur ce blog. Néanmoins, pour rester dans l’ambiance, j’ai poursuivi avec des lectures ayant pour cadre la ville de Londres. Après le classique Our Mutual Friend, mon choix s’est porté sur un livre plus léger et plus contemporain : A Taste of Blood wine, un roman fantastique de Freda Warrington dont l’action se déroule à Londres et à Cambridge dans les années vingt. Il appartient au sous-genre de la bit-lit, contraction du prétérit anglais du verbe “to bite” et de l’abréviation “lit” pour “littérature ” (empruntée à “chick-lit” ou littérature pour filles”), expression que l’on peut traduire en français par “littérature mordante”. Ce sous-genre de la fantasy urbaine se caractérise par des isotopies et des codes narratifs aisément identifiables : une héroïne jeune et innocente se retrouve aux prises avec des vampires dans une relation mêlant attraction érotique et répulsion effrayée face au danger que représentent ces êtres surnaturels et mystérieux. Ce type de récit est devenu populaire auprès du grand public grâce au succès de la saga Twilightde Stephenie Meyer au milieu des années deux-mille, mais il existait déjà auparavant. La première édition de A Taste of Blood wine (image ci-dessous), par exemple, est parue en 1992. A l’époque, sa couverture n’avait rien de glamour, et elle se contentait de reprendre l’image traditionnelle du vampire dans son cercueil, inspirée de Nosferatu et des films de la Hammer (Ah ! Christopher Lee ! Il était bien plus impressionnant en Dracula que déguisé en Saroumane dans les films de Peter Jackson). Dans la nouvelle édition de 2013, elle a été modernisée pour mieux coller aux goûts littéraires de son public. Elle affiche  désormais une belle jeune femme brune vêtue d’une élégante robe de couleur pourpre. La blancheur virginale de ses épaules dénudées n’est rompue que par deux petits points qui laissent filtrer un mince filet de sang…
   L’intrigue de A Taste of Blood wine respecte les lois du genre. Dans la haute société londonienne des années vingt, les trois sœurs Neville mènent une vie frivole de fêtes et de réceptions dans le quartier de Mayfair. La plus timide, Charlotte, rencontre un mystérieux et séduisant aristocrate autrichien, Karl Von Wultendorf. De retour à Cambridge où elle travaille comme assistante dans le laboratoire de son père, elle le retrouve à l’occasion de la fête donnée pour l’anniversaire de sa sœur cadette. Bien entendu, elle tombe éperdument amoureuse. Mais le ténébreux séducteur s’avère être un vampire tourmenté. Constamment déchiré entre son amour pour Charlotte et ses instincts de prédateur, Karl va devoir la protéger de son propre créateur, le redoutable Kristian, sorte de prélat égomaniaque  qui règne sur la communauté des vampires depuis son château de Holdenstein, sur les rives du Rhin.
   Le roman exploite pleinement l’imaginaire érotique associé à la figure du vampire. L’intrigue et les personnages rappellent ceux d’un roman sentimental : une jeune fille timide et réservée découvre l’amour dans les bras d’un séducteur puissant et protecteur. Comme dans les romans Harlequin, le personnage masculin est racé et socialement distingué : son nom est agrémenté d’une particule nobiliaire (“Von Wultendorf” – on notera au passage qu’il s’agit d’une anomalie, puisque Karl était en fait un modeste musicien dans la Vienne du XVIIIème siècle avant d’être mordu et transformé en vampire par Kristian),  et il évolue avec aisance dans les salons de la haute société anglaise tout en y occupant une place à part. L’héroïne, elle, est peu sûre d’elle, gauche et mal à l’aise dans son milieu social, qu’elle préfère fuir pour se réfugier dans la solitude. Elle entretient une relation plein d’affection mais aussi d’incompréhension avec son père, un homme droit mais au comportement bourru, tandis que sa mère décédée apparaît comme une figure bienveillante mais absente. Cela vous rappelle la saga Twilight, avec son héroïne adolescente  mal à l’aise dans son lycée de la ville de Forks et ses parents divorcés ? Ce n’est pas un coïncidence : malgré les quinze ans qui les séparent, les deux romans partagent les mêmes conventions et répondent aux mêmes attentes chez leurs lecteurs (ou plutôt, leurs lectrices, puisque leur lectorat est avant tout féminin), celui d’une rencontre amoureuse mythifiée et idéalisée. La différence principale entre les deux récits tient probablement à leur degré d’audace : là où Twilight reste relativement prude et chaste, A Taste of Blood wine est plus audacieux et associe étroitement la soif de sang et le désir sexuel, et les nombreuses scènes d’amour entre Karl et Charlotte le rappellent bien.
    Comme toutes les bonnes histoires de vampires, A Taste of Blood wine, est publié sous forme de série. Il est peu probable que je lise la suite annoncée ici sur le blog de l’auteur http://www.fredawarrington.com/, mais ce premier tome était une parenthèse divertissante.